Plusieurs bourgeois, voyant s’enfuir ces dames le long une grande rue, entendant nos enfants crier via le seuil des portes, se hataient d’endosser la cuirasse, et appuyant leur contenance quelque peu incertaine d’un mousquet ou d’une pertuisane, se dirigeaient par l’hotellerie du Franc-Meunier, devant laquelle s’empressait, en grossissant de minute en minute, un groupe compacte, bruyant et plein de curiosite.
En ce temps-la nos paniques etaient frequentes, et peu de jours se passaient sans qu’une ville ou l’autre enregistrat via ses archives quelque evenement de ce genre. Il y avait les seigneurs qui guerroyaient entre eux ; il y avait le cardinal qui faisait la guerre au roi et aux seigneurs ; il y avait l’Espagnol qui faisait la guerre aux seigneurs, au cardinal et au roi. Puis, outre ces guerres sourdes ou publiques, secretes ou patentes, il y avait bien les voleurs, les mendiants, les huguenots, les loups et les laquais, qui faisaient la guerre a tout le monde. Les bourgeois s’armaient toujours contre des voleurs, contre des loups, contre nos laquais ; — souvent contre les seigneurs et nos huguenots ; — quelquefois contre le roi ; — mais jamais contre le cardinal et l’Espagnol. Cela resulta donc des habitudes prises, que votre susdit premier lundi du mois d’avril 1626, les bourgeois entendant du bruit, et ne voyant ni le guidon jaune et rouge, ni Notre livree du duc de Richelieu, se precipiterent du cote de l’hotel du Franc-Meunier.
Arrive la, chacun put reconnaitre la cause de une telle rumeur.
Un jeune homme… — tracons le portrait d’un seul trait de plume : — figurez-vous don Quichotte a dix-huit ans ; don Quichotte decorcele, sans haubert et sans cuissard ; don Quichotte revetu d’un pourpoint de laine, dont la teinte bleue s’etait transformee en une nuance insaisissable de lie de vin et d’azur celeste. Visage long et brun ; la pommette des joues saillante, signe d’astuce ; des muscles maxillaires beaucoup developpes, indice infaillible ou l’on reconnait le Gascon, meme sans beret, ainsi, notre jeune homme portait un beret orne d’une espece de plume ; l’?il ouvert et intelligent ; le nez crochu, mais finement dessine ; trop grand pour 1 adolescent, trop petit pour un homme fera, et qu’un ?il exerce eut pris pour un gamin de fermier en week-end, sans la longue epee qui, pendue a un baudrier de peau, battait nos mollets de son proprietaire, lorsqu’il est a pied, et le poil herisse de sa monture lorsqu’il est a cheval.
Car une jeune homme avait une monture, et votre monture est meme si remarquable qu’elle fut remarquee : c’etait un bidet du Bearn, age de 12 ou 14 annees, jaune de tunique, sans crins a la queue, mais non nullement sans javarts aux jambes, ainsi, qui, bien en marchant la tete plus bas que les genoux, ce qui rendait inutile l’application en martingale, faisait bien galamment ses huit lieues par jour. Malheureusement les qualites cachees de ce cheval etaient si beaucoup cachees sous son poil etrange et le allure incongrue, que, dans un moment ou n’importe qui se connaissait en chevaux, l’apparition du susdit bidet a Meung, ou il est entre, il y avait un quart d’heure a minimum pres, par la porte de Beaugency, produisit une sensation dont la defaveur rejaillit jusqu’a le cavalier.
Et cette sensation avait ete d’autant plus penible au jeune d’Artagnan (ainsi s’appelait le don Quichotte de votre autre Rossinante), qu’il ne se cachait nullement le caractere ridicule que lui donnait, si bon cavalier qu’il fut, une pareille monture. Aussi avait-il extri?mement soupire en acceptant le don que lui en avait fera M. d’Artagnan pere : il n’ignorait jamais qu’une pareille bete valait au moins vingt livres. Il va i?tre bon que les paroles dont le present avait ete accompagne n’avaient aucun prix.
« Mon fils, avait evoque le gentilhomme gascon, dans votre pur patois du Bearn, dont Henri IV n’avait pas pu parvenir a se defaire, — mon fils, ce cheval est ne dans domicile de ce pere, depuis tantot treize ans, et recommence reste depuis ce temps-la, et cela doit vous mettre a l’aimer.
Ne le vendez pas, laissez-le mourir tranquillement et honorablement de vieillesse, et si vous faites campagne avec lui, menagez-le comme vous menageriez un vieux serviteur. A la cour, continua M. d’Artagnan pere, si toutefois vous avez l’honneur d’y aller, honneur auquel, du demeure, 321chat gratuit votre ancienne noblesse vous donne des droits, soutenez dignement la nom de gentilhomme, qui possi?de ete porte dignement avec vos ancetres depuis plus de cinq cents ans ; Afin de vous et pour les votres, — par nos votres, j’entends vos parents et vos amis, — ne supportez jamais rien que de M. le cardinal et du roi. C’est par le courage, entendez-vous beaucoup, par le courage seul, qu’un gentilhomme fait le chemin aujourd’hui. Quiconque tremble une seconde laisse peut-etre echapper l’appat que, pendant votre seconde justement, la fortune lui tendait. Vous etes jeune, vous devez etre brave via deux raisons : la toute premiere, c’est que vous etes Gascon, et la seconde, c’est que vous etes mon fils. Ne craignez pas les occasions et voulez des aventures. Je vous ai fera savoir a manier l’epee ; vous avez un jarret de fer, un poignet d’acier, battez-vous a tout propos ; battez-vous, d’autant plus que les duels seront defendus, et que, avec consequent, on voit deux fois du courage a se battre. Je n’ai, mon fils, a vous donner que quinze ecus, mon cheval et les recommandations que vous venez d’entendre. Votre tante y ajoutera la recette d’un certain baume qu’elle tient d’une bohemienne, ainsi, qui a une vertu miraculeuse pour guerir toute blessure qui n’atteint gui?re le c?ur. Faites votre profit vraiment, ainsi, vivez heureusement et un moment.